Adapte moi si tu peux : La belle personne – Entre les murs – Cliente.

Publié le par ES

Le cinéma a toujours aimé porter à l’écran des œuvres littéraires plus ou moins classiques et c’est bien normal. Qui n’a pas eu de temps en temps l’idée, en achevant un roman, de se dire que ça ferait un bon film ? Septembre Octobre n’aura pas dérogé à la règle. Christophe Honoré se plaisait à adapter librement (selon la formule consacrée) La princesse de Clèves en implantant l’histoire dans ses quartiers, à savoir Paris 16°, avec toute sa clique d’acteurs. Laurent Cantet investissait l’univers de François Bégaudeau pour livrer un regard sur le monde éducatif et les enjeux de notre société. Josiane Balasko parvenait enfin à mettre en scène son livre Cliente, livre qu’elle avait écrit après que les boîtes de production lui avaient refusé la réalisation d’un de ses scénarios. Trois films français bien différents mais qui montraient cette double relation cinéma-littérature, à savoir à la fois l’envie de partager la découverte d’un livre et la nécessité parfois de venir à un système moins dangereux financièrement que l’emploi de scénarios originaux.
Christophe Honoré n’en était pas à son coup d’essai. Quelques années auparavant, l’homme avait porté à l’écran Ma mère, l’ultime roman de Georges Batailles, avec déjà dans un des rôles clefs le petit Louis Garrel. La Belle Personne implante les codes de la Cour Royale au sein d’un lycée parisien où un triangle amoureux se met en place, avec ses difficultés et les troubles de la jeune Juni. Une nouvelle fois, Louis Garrel et Gregoire Leprince-Ringuet se retrouvent pour se partager les deux rôles, celui de l’amant pour le premier, celui du « mari » pour l’autre. Entre les deux, Lea Seydoux reçoit le rôle de la Princesse, arrivée dans le lycée après un drame familiale et logeant chez son cousin. L’adaptation n’est pas des plus réussies. Christophe Honoré semble hésiter entre s’éloigner du livre pour moderniser le questionnement de Madame de Lafayette et coller au plus près du texte. Il ressort de cela quelques difficultés. Réduire à une heure trente un roman demande d’effectuer des coupes franches, de raccourcir le temps quitte à décrédibiliser certains aspects. Ainsi le doute qui monte chez le mari, le bouleversement, les failles, et l’inéluctable choix du suicide pour cet homme pudiquement amoureux, tous ces éléments sont jetés en quelques traits rendant le suicide de Leprince-Ringuet quelque peu ridicule, notamment quand Honoré ne peut s’empêcher d’y ajouter une chansonnette d’Alex Beaupain, très belle en soi mais qui  n’apporte pas grand chose. Coller au plus près du texte se traduit aussi dans La belle personne par le fait d’offrir aux acteurs des dialogues formatés et factices qui agacent plus qu’ils ne fascinent, et rajouter en plus dans la mise en scène des éléments pour bien faire comprendre au spectateur abruti que cette petite cour joue une scène de théâtre, comme l’Aristocratie était elle aussi en représentation, tous ces choix finissent par fatiguer. Certes, tout est explicable dans les motivations, mais il n’en ressort pas moins un ennui à la longue. Enfin Honoré peine à canaliser les acteurs qui jouent sans vrai réussite. A trop vouloir mettre en avant Louis Garrel sans le pousser un peu dans ses retranchements, ce dernier nous ressort des formules et des mimiques déjà vues dans d’autres films, à trop appuyer le côté blanc, laiteux, sculptural et froid de Léa Seydoux, celle-ci finit par apparaître pratiquement bovine et porteuse d’une seul expression, à trop délaisser Leprince-Ringuet, lui aussi finit par pratiquement disparaître et s’affadir. Voilà qui est fort dommage, ces trois acteurs ayant les capacités de crever l’écran et d’être bien meilleurs, on en devient presque exigeant et sévère.
Reste pourtant un film qui se laisse voir, sans prétendre au niveau des dernières réalisations de Christophe Honoré. La belle photographie générale, blancheur et gris esthétisant, et l’apparition des acteurs fétiches du réalisateur deviennent les vrais points forts du film, ce qui demeure assez limité.

Laurent Cantet n’est pas tombé dans ce danger, mais sa tâche était, au niveau de l’adaptation du moins, plus aisée. Le livre de Monsieur Bégaudeau n’avait que quelques années et restait donc d’actualité. L’enjeu pour Cantet était plus de parvenir à investir l’école, à y porter les défis de notre société, les failles, les questionnements, sans tomber dans la démagogie ou le tableau satirique. Et Laurent Cantet s’en est très bien sorti. Il s’agissait d’une adaptation fort différente car on ne touchait nullement à un classique littéraire (pas encore du moins), car il s’agissait aussi plus d’un récit que d’une fiction pure. Il n’en demeure par moins que la maîtrise dans la réalisation, le contrôle du jeu des acteurs (non professionnels) et la mise en image des différentes problématiques étaient pour le moins difficile à critiquer.

En ce qui concerne Cliente de Balasko, l’affaire est tout autre une nouvelle fois. C’était bien parce qu’elle n’avait trouvé personne pour financer son projet, alors même qu’on s’appelle Josiane Balasko, que l’actrice avait décidé de retravailler son scénario pour en produire un roman. Le roman a été plutôt bien accueilli, prouvant aux futurs financiers que son histoire pouvait intéresser des gens et ces derniers ont fini par accepter. Adapter son propre roman à l’écran est donc un troisième cas possible dans le cinéma (Houellebecq en a fait de même en septembre). Cliente ou l’histoire d’une quadragénaire vieillissante qui paye des hommes pour coucher et ne veut plus de relation compliquée, jusqu’au jour où elle finit par s’éprendre en partie du garçon qui la comble. Le dit garçon étant marié, cela va poser quelques complications lorsque la jeune épouse va découvrir le métier de son concubin. Mêlant à tout cela, une sœur un peu décalée qui finit par tomber amoureuse d’un Indien d’Amérique venu présenter une tente pour le téléachat où elle travaille avec sa sœur, quelques personnages secondaires plutôt sympathiques dont Marie Lou Berry en adolescente chiante, et Balasko parvient à proposer un film agréable qui n’a pas prétention à plus que cela. On pourra reprocher à la réalisatrice d’avoir abandonné tout aspect ambigu, réflexif sur la prostitution masculine et la vie sexuelle des femmes quadra ou quinquagénaire célibataire, d’avoir aussi peiné pour mener toujours au même rythme l’histoire de la relation ayant peut-être trop développé les autres histoires. N’empêche que la prétention était limitée. Il s’agissait d’offrir une histoire dynamique et divertissante. La réalisation est propre et sans grande nouveauté, mais la présence des acteurs (actrices) vient masquer les fragilités. Balasko, Nathalie Baye, Isabelle Carré… chacun se plaît à vivre l’histoire sans en rajouter.

L’adaptation d’un livre peut donc prendre des chemins bien variés selon le choix de la réalisation et le choix même du livre. Adapter un classique est souvent plus ambitieux que de porter à l’écran le dernier roman de l’été, quoi que… quand on regarde les réactions critiques qu’avait reçu le Da Vinci Code (critiques qui n’étaient pas méritées), on se dit qu’aucun roman n’est aisément adaptable. Car à trop tisser des liens, on finit par oublier la spécificité des deux arts. La littérature raconte quelque chose, mais explore aussi le monde des mots, du style, de l’intime, crée une relation avec un seul lecteur, alors que le Cinéma vient mettre en image des histoires et travailler sur les effets sonores, photographiques, visuels, scénographiques… Tout n’est donc pas toujours adaptable. Un débat proposé à la Journée Dédicaces de SciencesPo (le 6 décembre 2008) était intitulé « L’adaptation tue-t-elle le livre ? », questionnement méritoire. Si l’on comprend bien le danger pour le livre, imaginant que les spectateurs pourraient ne plus lire, ayant déjà l’histoire sur pellicule, ou bien que les écrivains finissent par rédiger des scénarios plus que des romans, il existe un autre enjeu derrière la question : « L’adaptation tue-t-elle le film ? » En effet, les scénaristes risquent d’être relégués au second plan, l’émulation scénaristiques réduites, les films risquent aussi d’être moins ambitieux. Les exemples dans l’actualité en sont une belle preuve, une adaptation peut certes être le signe d’une réussite, elle peut aussi se révéler périlleuse et ratée. L’adapte moi si tu peux n’est pas prêt de s’arrêter pour l’heure, mais l’espoir de voir deux arts encore passionnants et riches passe aussi par le fait de ne pas réussir à adapter. Tant que les romans courront plus vite que les adaptateurs, le Cinéma et la Littérature auront encore de quoi nous surprendre.

Publié dans Actu ciné Français.

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