Jeunesse rêve-toi, visions d’une génération

Publié le par PS

Comment se porte la jeunesse ? Le cinéma 2010 se sera questionné sur le sujet de façon récurrente. En 2009, les films s’attachaient davantage à l’adolescence (revoir Les beaux gosses, Lol, Neuilly Sa mère, ou plus anciennement Hellphone). Exit les teenagers à quelques exceptions prêts, les réalisateurs suivent la génération du dessus, des années de la fin du lycée aux premiers boulots, cette génération coincée entre l’enfance (et l’adolescence) et les trentenaires (que le retrouve souvent dans le cinéma français). Les visions sont multiples et variés, mais les trajectoires se croisent.

Parmi les oeuvres qu’il serait envisageable d’affilier à cette mouvance, il serait possible de regrouper une quinzaine de films.

 

films-jeunesse.jpg

 

Société et construction du soi

Si la jeunesse fascine et demeure source d’inspiration, c’est par le potentiel qui s’ouvre devant elle. Ces jeunes adultes sont le plus souvent en fin de construction identitaire. Les études, le travail, la sortie du cocon familial, la jeunesse s’inscrit dans un cadre logiquement défini. Etrangement, pour parler de la jeunesse actuelle, une bonne part des réalisateurs (français notamment) décadre le lieu et la temporalité.  The social Network retourne au début de la décennie, Simon Werner tombe dans les années 1990, Belle Epine remonte aux années 1980.http://www.shunrize.com/wordpress/wp-content/uploads/2010/09/the-social-network-1.jpg Le Petit Tailleur, par son traitement et ses références multiples, sort d’une contemporanéité datée, de même pour Des Filles en Noir, à croire que les réalisateurs français craignent d’aborder de plein front le monde moderne et préfère parler de la jeunesse de biais ; même Les Amours Imaginaires s’enferme par moments dans une atemporalité et ne revient de plein fouet dans notre monde qu’avec les interviews. Les perspectives sont donc détournées de notre regard habituel. En s’inscrivant dans un temps autre que le contemporain vécu par le spectateur, les films semblent vouloir ébaucher des portraits de la jeunesse qui pourraient devenir atemporels. Cette tentative peut être louable, mais oublie un des aspects essentiels de la jeunesse, tout bonnement le fait qu’elle s’inscrit avant tout dans son époque, qu’elle la façonne autant qu’elle est façonnée par elle. Quid de l’Internet, des téléphones cellulaires, des nouveaux loisirs, du nouveau rapport au monde ? http://image.toutlecine.com/photos/l/e/s/les-amours-imaginaires-2-g.jpgMettre en image la jeunesse nécessite de penser la réalisation à l’aune de ces questions. Quand Gilles Marchand filme L’Autre Monde et s’intéresse au monde numérique, il le fait en oubliant d’être jeune et signe un récit vieillot, même à grand renfort de séquences de jeux vidéo. A l’inverse, lorsque David Fincher parle de l’Internet, l’homme ne montre quasiment jamais l’objet Internet, mais implante dans son scénario, dans les gènes de son film, les codes de l’Internet. L’imparfait Fleurs Du Mal, long métrage revenant sur l’insurrection iranienne, met au cœur de son récit les nouveaux comportements numériques. Les deux jeunes personnages ne cessent d’être en lien via Twitter, de découvrir l’horreur des situations à travers des vidéos YouTube. La jeunesse et sa temporalité propre qu’il s’agisse d’un besoin de vitesse, de changement constant (voir The social Network, La vie au ranch ou Kaboom), donnent un premier aspect de ce cinéma.

Curieusement, cet âge post adolescent se retrouve le plus souvent livré à lui-même. Dans Lol, Les Beaux Gosses ou Neuilly Sa mère, le rôle de la mère est primordial, le père souvent absent physiquement reste prégnant dans le récit. L’adolescence s’affirme dans son rapport aux parents, dans la potentialité de dire non. De son côté, la jeunesse post adolescente n’a plus de famille et ne se construit que dans son rapport au monde. Dans les Amours Imaginaires, alors que le précédent film de Dolan J’ai tué ma mère mettait au centre le rapport mère fils, les personnages sont seuls et sans famille, à peine croise-t-on furtivement la mère iconoclaste de l’éphèbe Nicolas. La jeunesse du cinéma actuel se retrouve sans famille, dans un monde mouvant que la plupart des réalisateurs se plait à sortir du contexte habituel. Il est délicat de parvenir à pleinement se construire dans ce cas. Voilà probablement une des raisons qui entraîne la jeunesse dans un désoeuvrement déambulatoire.

Errance et déshérence

http://www.anglesdevue.com/wp-content/uploads/2010/11/BelleEpine6.jpgDifficile de se chercher soi-même quand les repères sont évanescents. Sans autorité contre laquelle se construire, sans limites établies à dépasser, la jeunesse tombe en errance. La singulière Prudence (Belle Epine) erre dans un monde sans passion ni vision, pousse son corps à vibrer afin de ne pas avoir à ressentir l’absence du père et la mort de sa mère. Le personnage ne va plus à l’école, n’a pour seul lien avec la tradition et comme repères que cette famille juive. Il lui faut le temps d’un film pour éprouver le deuil, découvrir son héritage. Dans La vie au Ranch, les études et le travail ne sont que superficiels. Ce film inconséquent (parce que la jeunesse ne voulant plus se construire et vivre uniquement dans l’errance serait inconséquente, c’est-à-dire sans conséquence dans ses actions) laisse entrevoir comme refuge un appartement où la jeunesse parisienne féminine se laisse voguer, sans réel désir. http://2.bp.blogspot.com/_hQpavowtAyk/S872ZW-Q1yI/AAAAAAAAEn8/Sb7xbu4JOh4/s1600/filles_en_noir.jpgLes deux héroïnes Des filles en noir trouvent comme solution de fuite à cette errance le suicide, comme expression de leur malaise, de leur doute. La mère et la famille sont présentes, mais n’apparaissent qu’en arrière fond fantomatique, qu’en horizon gris et déprimant. Dans ce cadre, comment ne pas vouloir dériver vers un romantisme funeste pour retrouver un goût à la vie ? Dans Kaboom, L’Autre Monde, Chatroom ou The Social Network, la jeunesse navigue dans un entre deux mondes post moderne où Internet prend une dimension nouvelle, un lieu d’errance et de construction de soi trouble. La jeunesse n’a plus vraiment de tradition à laquelle se raccrocher ou contre laquelle s’opposer, elle n’est que mouvement et déchéance, contrainte d s’élaborer un monde nouveau, en partie chimérique ou idéalisé (que ce soit dans les Amours Imaginaires ou Simon Werner a disparu), au risque de décrocher du réel et de chuter dans la déception. Cette génération ne semble plus capable d’être joyeuse et insouciante, elle se force à échafauder ses propres avatars, des faux-semblants plus ou moins bruyants pour masquer le vide. Entre posture tragique et romanesque désenchanté, la jeunesse est mise en image par les réalisateurs comme des figures mythiques en devenir.  

Divinités éphémères

http://a33.idata.over-blog.com/450x666/2/47/51/85/08.10/Scott_Pilgrim_vs_the_world_new_poster.jpgScott Pilgrim, avec son nom riche de sens, n’est pas un adolescent ordinaire, puisque sous ses airs de chétif timide maladroit va naître un Hercule version 2.0 devant affronter l’équivalent de ses douze travaux pour conquérir le cœur de sa dulcinée, schéma classique passé à la moulinette du comics et de l’Internet. Le dernier film d’Edgar Wright voit le surgissement d’une jeunesse en forme de demi dieu. Capable d’exploits incroyables et forcément fantasmés comme dépassement de soi, la jeunesse se fait démiurge dans sa capacité à créer un monde à part et à faire naître une influence sur le monde réel. Dans The Social Network, à côté de ces dieux aux allures teutoniques que représentent l’ancienne caste d’Harvard, futurs maîtres de la finance mondiale, jaillit ces petits dieux malins qui donnent vie au Facebook. Proche de cette image, le Chatroom de Nakata nous montre une jeunesse se construisant un monde numérique individualisé et partagé. Chaque personnage est capable d’avoir sa propre chatroom à son image où il peut accueillir ses « amis ». Ce qui fait l’intérêt du Chatroom tient à la capacité de ces mêmes personnages d’avoir une influence sur les univers numériques des autres, ayant de ce fait une qualité protéiforme. La jeunesse s’ancre dans une mythologie déifiée, devenant une divinité éphémère. Car cette génération se trouve sublimée par une beauté, une puissance, une créativité à part, quasiment mystique et divine. http://1.bp.blogspot.com/__tl7WEyRRjk/TIsneIEPN-I/AAAAAAAADas/77cgLUdXSSU/s1600/KABOOM.jpgDans Kaboom ou dans Les amours imaginaires, les jeunes gens sont beaux, des esthètes à leur apogée, des variations d’Apollon (voire la séquence dans Les amours imaginaires où Nicolas est rapproché des statues antiques). Dans le Petit Tailleur, les comédiens pris dans un temps exceptionnel sont également esthétisés. La grâce et la puissance se retrouvent par ailleurs dans Les rêves dansants ou Belle épine, il s’agit d’un point d’orgue, d’une jeunesse sortie du temps. Hélas, le tragique de ces films sur la jeunesse tient à l’impossibilité de conserver cet « outre temps » divin. Dans La vie au ranch, les filles doivent entrer dans l’âge adulte et abandonner une partie de ce qui faisait leur charme. Dans Kaboom, Des Filles en Noir, Chatroom ou encore l’Autre monde, les jeunes gens évitent cette déchéance par la mort, acte ultime et désespéré d’une résistance contre un monde et une temporalité qui s’apprêtent à les avaler. Le film de Xavier Dolan est à ce titre divergent puisqu’il se referme sur une boucle, les personnages de Francis et Marie trouvant un nouveau fantasme et demeurant de la sorte dans le monde imaginaire cyclique dont ils sont les dieux. La jeunesse au cinéma s’appréhende ainsi autant sous un angle réaliste et daté que sous une vision métaphorique. Cette génération se construit dans un environnement concret et construit en parallèle son propre monde, ses codes particuliers pour exister.

Nouveaux langages, nouveaux mondes

http://www.shadowandact.com/wp-content/uploads/2010/04/2.jpgS’agit-il d’une tendance actuelle de retravailler les codes à l’aune de la jeunesse ? La réponse paraît assez évidemment négative puisque toute génération cherche à se positionner en élaborant ses propres codes. Les nouveaux langages dépassent cependant la simple diatribe verbale pour s’inscrire dans les nouveaux modes de communication. Le téléphone portable est devenu l’outil partie prenante de l’évolution des personnages. Qu’il s’agisse d’envoyer des textos (Kaboom), d’être joignable par téléphone, de laisser un message sur un répondeur (voire la scène dans La vie au ranch où une des filles laisse un message en anglais à un Allemand), les moyens de communication sont des attributs modernes de la jeunesse. L’avènement d’Internet change également les comportements et les réflexes. Le vocabulaire change, la façon de communiquer aussi (voir Les Fleurs du Mal ou The Social Network pour s’en convaincre). Pourtant, les réalisateurs semblent rechercher d’autres voies de conversation, d’échanges en puisant dans la tradition. Comme dit précédemment, les films Français se plaisent à installer leurs fictions dans le passé, à une époque où tous ces outils, que les réalisateurs ne doivent finalement pas maîtriser suffisamment pour en parler, n’existaient pas. Ainsi Simon Werner a disparu se déroule dans un univers d’adolescents sans téléphone, ni emails. http://a7.idata.over-blog.com/1/90/86/29/milega2/ranch.jpgLe Petit Tailleur ou Les Amours Imaginaires mettent en avant l’épistolaire et les petits mots. Pourtant cette jeunesse parle différemment, vit différemment. David Fincher semble l’avoir bien compris. Les blogs, emails et autres réjouissances numériques sont au cœur de son dispositif narratif, mais il ajoute par le dialogue des acteurs une représentation particulière des nouvelles communications. Les codes sortent du simple système linguistique pour venir immerger la forme même des films. Génération bercée par la télévision et le cinéma, cette jeunesse se plaît à se mettre en scène sous diverses manières, qu’il s’agisse de l’intrusion du film de genre voire de la Série B dans les récits (Kaboom, Qui a tué Simon Werner, mais aussi l’aspect esthétique proche du polar de The Social Network), de références (Le Petit Tailleurs, La Vie Au Ranch…). La froideur des Filles en noir ou de Belle Epine, l’exubérance de Kaboom ou Scott Pilgrim, le réalisme sobre de La Vie Au Ranch ou des Rêves dansants, l’esthétisme adouci  des Amours Imaginaires ou de Memory Lane, ou la photographie contrastée d’un Chatroom, Social Network ou encore Simon Werner, tous ces éléments témoignent d’une volonté d’aborder la jeunesse à l’aune d’une réflexion esthétique engagée.

Vers une nouvelle jeunesse ?

http://www.milanofilmfestival.it/2010/programmapersezioni/foto/Fleurs%20Du%20Mal.jpgIl est donc possible de tracer des liens entre ces films de la génération 2010 que ce soit dans les thématiques, l’esthétique ou les récits. Si elle est multiple, cette jeunesse n’en demeure pas moins constamment pressée, prise dans une urgence de l’instant, du vécu (mais est-ce propre aux années 2010 ?). La phase de transition entre la sortie de l’enfance et l’entrée dans le monde adulte s’exécute dans un cheminement périlleux et sans logique où chacun tente de se bâtir un univers qu’il sera à même de gérer. Ce qui pourrait manquer dans tous ces films serait la représentation sociale de certaines classes quasiment inexistantes, tel que notamment les jeunes gens des cités, les personnes issues de l’immigration ou encore la jeunesse des campagnes (à l’exception peut-être de l’Apprenti de Samuel Collardey, sorti en 2008), à croire que la vision de cette génération passe uniquement par son inscription dans l’urbain, les rares passages champêtres se révélant soit faussement élégiaques (Les amours imaginaires), soit caricaturaux (La vie au ranch). Cette quinzaine de longs métrages, fort différents malgré certains points communs, ne s’apparente guère à une tendance de fonds. Nul doute, qu’aucun de ces réalisateurs ne se soit concerté, cependant le film sur la jeunesse s’échafaude comme une inspiration actuelle pour tenter de cerner le monde à venir. Si cette jeunesse 2010 n’est plus forcément révolutionnaire, elle s’incarne par une avancée à tâtons, innovant et transformant les choses sans forcément le vouloir. Epiphénomène ou vraie introspection ? Il faudra attendre d’avoir un peu de recul pour s’en convaincre. Quoi qu’il en soit, et c’est tout l’attrait du travail sur la jeunesse, en un clin d’œil les films de la génération 2010 apparaîtront datés et de nouveaux cinéastes apporteront leurs visions. Regarder les longs métrages actuels laisse donc comme simple interrogation l’excitation de savoir à quoi ressembleront les jeunes en 2020. Mais c’est une autre histoire.  

Publié dans Atypique...

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article