Le Braqueur, courir ou mourir (de Benjamin Heisenberg).

Publié le par PS


L’homme court à pleine foulée, ne pensant à rien d’autre qu’à cette course, ces tours de terrain rythmés par une vélocité puissante. La caméra se déplace légèrement, le plan change et le spectateur comprend que l’homme, Johann Rettenberger, est en prison, dans une minuscule cour, emprisonné pour divers braquages par le passé, n’ayant plus que quelques jours à subir son enfermement avant de pouvoir enfin courir en ligne droite comme il l’expliquera lui-même à l’homme qui suit son dossier de réinsertion. Un braqueur en liberté.

Le Braqueur, second film de l’Allemand Benjamin Heisenberg, revient sur un récit très connu en Autriche, dans la région de Vienne où un homme, Johann Rettenberger, coureur athlète inconnu qui remporta divers marathon menait une double vie en tant que braqueur de banques. Ce qui intéressait Benjamin Heisenberg n’était pas tant de tourner une biographie de l’homme que de narrer les derniers moments de Rettenberger et de faire ressentir l’urgence de l’action, l’addiction à l’adrénaline, la fébrilité du présent. Pour réaliser cela, Heisenberg dépouille son film de tous les éléments inutiles. Le récit n’échafaude aucune distraction à l’exception d’une brève relation entre l’homme et une ancienne copine. A peine sorti de prison, les braquages recommencent, sans se soucier de la façon dont le coureur a récupéré son matériel de braquage, ni de ce qu’il fait. Il court, tout bonnement, comme un besoin vital, comme la seule chose qui importe.

RAEUBER_PLAKAT_klein.jpgLe Braqueur a tout de la tragédie moderne dans sa forme. Dès les cinq premières minutes le couperet tombe. Johann annonce clairement qu’il ne retournera jamais en prison, plus jamais. De cette sentence une solution se dégage courir et fuir ou bien mourir. Les braquages s’enchaînent rapidement, sans grandiloquence dans la mise en scène, tout comme l’évasion lors d’une première arrestation. La réalisation est sèche, énergique. La lumière blanchâtre qui accompagne le film crée une dureté dans l’environnement. La première partie jusqu’à l’arrestation tourne malheureusement un tantinet à vide. Tout s’enchaîne sans pause, sans reprise de souffle, avec la même vélocité que le coureur. Désireux de ne pas découper à l’outrance les séquences (rejetant l’effet Paul Greengrass), Heisenberg construit des scènes d’actions aux plans relativement longs pour mieux suivre les gestes. Ce Braqueur ne réussit pas complètement à restituer les sensations du coureur braqueur, se refusant à livrer toute interprétation, toute supposition sur les motivations, au risque de patiner.


La mort de l’homme chargé de la réinsertion de Rettenberger déclenche une course poursuite dans la région de Vienne. Le coureur refuse de se rendre, de finir dans une cellule où il ne pourra plus jamais courir. Cette seconde partie, bien plus aboutie, évite jusqu’au final les évidences du genre, trompe le spectateur en lançant de fausses pistes. En changeant la mort de Rettenberger (qui dans la réalité avait fini par se tirer une balle dans la tête), Heisenberg donne plus de sens à la conclusion de son récit, plus d’amplitude. Le coureur n’est qu’un animal traqué, piégé, apeuré qui ne voulait que courir et meurt dans sa course sans se faire pincer.

La bonne réalisation permet ainsi de créer une tension palpable et communicative. Evadé, Rettenberger file dans les bois. Un premier plan voit l’homme monter une colline, passer devant un gros arbre mort (rappelant les arbres de pendus), puis devant une croix volumineuse. La symbolique semble évidente alors, sur cette montagne, l’homme trouvera la mort, la rédemption peut-être, mais la mort assurément, comme si les signes ne pouvaient tromper. Encerclé de nuit par les lumières des policiers qui patrouillent et le chassent, l’étaux se resserre, tout paraît boucler. Rettenberger serre le revolver dans sa main, prêt à s’en servir, tout espoir disparaît. Soudain il découvre un petit trou camouflé, une cave où il parvient à se glisser. L’échappatoire surprise vient briser les attentes du spectateur. Un peu plus loin, ayant réussi à gagner un petit coin résidentiel pour se reposer un peu, Rettenberger accoste un vieil homme revenant de ses courses, le menace de son arme pour prendre ses clefs de voiture, le fait entrer et commence à l’attacher. Peu surpris, le vieil homme parle, lui demande ce qu’il fera ensuite, lui conseille de revenir à Vienne et de s’y cacher. On en vient à se dire que l’interlocuteur est sympathique, compréhensif, mais voilà que subitement, sortant un petit canif de sa poche, il blesse Rettenberger, blessure funeste qui mettra fin à la course et nouvelle surprise pour le spectateur, comme si Heisenberg se plaisait aussi à berner le public.

Quelques scènes de très bonnes factures viennent ainsi donner un souffle à ce Braqueur. A ce titre, la scène du meurtre est plutôt remarquable. A peine victorieux d’un marathon éreintant, Rettenberger est suivi par le responsable de son dossier qui vient le sermonner, lui dire de se ressaisir, l’informer qu’il devra marquer de mauvaises choses dans son rapport. L’homme ne le lâche pas, le talonne alors que Rettenberger, harassé et dans un état second, voudrait être seul. Marchant dans des petites allées désertes d’un village de campagne, passant à côté d’un cimetière prophétique, la course-poursuite semble débuter alors dans ces plans fluides. Perdu dans cet enchaînement de tournants, de petits chemins, l’homme rattrape le coureur, la tension monte, le pire se laisse présager et soudain le coup s’abat, la violence se déchaîne, comme une pulsion animale.


Issu de la nouvelle génération de réalisateurs Allemands (qui avait livré récemment Wholetrain ou La Vague), ce Braqueur témoigne d’une volonté de se démarquer en produisant des films grands publics originaux et de qualité. Si nous ne sommes pas dans du cinéma d’auteur pur et dur (Le Braqueur ayant été initié par un producteur désireux d’adapter le livre du même titre), ce Braqueur n’en demeure pas moins plaisant et dynamique.

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