L’enfance de l’art (troisième volet) : Max et les maximonstres.

Publié le par ES

wildthingsare_haut23.jpgLe choix est périlleux : vont-ils le dévorer ou en faire leur roi, vont-ils choisir la violence ou la tendresse ? Délicat dilemme pour la petite dizaine de Maximonstres réunis autour de Max (Max Records dans la vraie vie, aperçu dans The Brothers Bloom), le garçon qui vient de débouler dans leur monde. Champ, contre champ, les monstres paraissent gigantesques et Max bien minuscule. Quelques scènes plus loin, tout a changé. L’humain est filmé à hauteur de monstre, si l’on peut dire, sur un plan d’égalité. Max a pris sa place dans le groupe et l’aventure continue.

maximonstres2Au départ, il y a un conte pour enfant, un beau livre illustré dont le titre original (Where the wild things are) était en soi porteur d’imaginaire ; de l’autre côté, un réalisateur rare et remarqué (notamment pour son délirant Dans la peau de John Malkovich) en la personne de Spike Jonze. Aborder l’enfance et ses rêveries plus ou moins poétiques et cruelles n’est jamais aisé. Les tentatives ne sont pas rares. A côté des films d’aventure pour enfant dont le point de départ n’est autre que la plongée dans les fantasmes infantiles (le culte Histoire sans fin, les moins bons Monde de Narnia ou Secret de Terabitha par exemple) se sont construits des films qui essayaient d’imbriquer la place de l’enfant dans le monde réel (la difficulté de grandir, la confrontation au monde des adultes) et sa fuite dans l’imaginaire. Citons le sympathique Coraline, l’excellent Labyrinthe de Pan ou le curieux Son of Rambow. Ces trois films (relativement récents) utilisaient différentes techniques pour aborder cette question de l’enfance. Le premier, dessin animé en 3D, optait pour une esthétique chatoyante proche de l’univers Burtonien (ce qui était bien normal puisque son réalisateur, Henry Selick avait déjà signé avec Tim Burton l’Etrange Noël de Mister Jack). Le second, d’un maître du fantastique en la personne de Guillermo Del Toro, optait pour un univers sombre proche du conte de fée façon Grimm. Le dernier, dirigé par Garth Jennings à qui l’on devait le loufoque H2G2, prenait une facture plus classique, comme un petit film où l’incursion dans le monde de l’enfance (entre dessins animés à gros coups de traits de crayons et effets visuels très amateurs comme peut en produire Michel Gondry) ne se faisait pas par immersion dans un univers fabuleux, mais par l’irruption d’éléments chimériques dans la réalité du garçon.

max-et-les-maximonstres-2617-988313494De ces deux catégories de films, Spike Jones marque une rupture en offrant un mélange. Le jeune Max ne fait pas d’allers retours entre réalité et rêve, il part vivre dans le monde des Maximonstres pour toute la durée du film (inscrivant le film dans la première catégorie), mais n’affronte aucune aventure épique. Très souvent, l’enfant qui s’évade des difficultés de son quotidien, est un gentil gamin, à la mode Oliver Twist si l’on veut, qui subit dans son monde un chagrin dur à affronter (la maladie d’un proche, la mort d’un parent, la guerre…) et cherche juste à trouver une porte de sortie. Dans Max et les Maximonstres (tout comme dans Coraline), le héros n’est nullement gentillet. Remuant, égoïste, il aimerait tout bonnement que sa famille joue avec lui constamment et entre dans l’univers qu’il essaye d’apporter (en enfilant constamment son déguisement de chat sauvage), sans chercher à comprendre les façons de vivre de sa sœur adolescente ou de sa mère.

Les premières vingt minutes du film retranscrivent à merveille cette tension. Dans la première scène, alors qu’il s’est construit un igloo et espère faire une bataille de boules de neige, sa sœur n’a envie que de partir avec ses copains. En lançant un peu de neige sur la bande d’ados, le jeune Max s’imagine avoir des amis qui vont entrer dans son jeu, alors que les ados ne veulent qu’écraser le gamin rapidement et finissent par détruire l’igloo (avec à l’intérieur Max qui s’imaginait à l’abri). Scène formidable en soi qui restitue la vision des deux mondes (le monde adulte sur les enfants et le monde enfant sur les adultes). Quelques minutes plus loin, la mère est dans le salon avec son nouveau copain (Marc Ruffalo). Max ne comprend évidemment pas cela et voit l’homme comme une menace, une sorte d’opposant. Voulant ramener l’attention sur lui, il descend à l’heure du dîner déguisé, s’excite, monte sur la table de la cuisine en jouant les bêtes sauvages et s’imagine que sa mère va entrer de son petit jeu. Sauf que la quadra, fatiguée, s’énerve et l’attrape. Max la mord alors, puisqu’il est dans son rôle de chat, entraînant la colère de sa mère (la convaincante Catherine Keeler vue dernièrement dans Into the Wild ou Un été italien). « Tu es ingérable » lance la femme, sous les yeux choqués du morveux qui ne comprend pas comment fonctionne l’adulte en face de lui. C’est à partir de ce moment que Max fugue, se perd dans les bois et s’invente une traversée maritime vers une île sauvage oscillant entre désert et forêt aride.

4E0FD3C5938D488F9150161B2E6A481B.jpgLe jeune Max est donc aussi touchant qu’exaspérant et l’arrivée chez les Monstres va confirmer cette dualité. Son intrusion dans le village des monstres (aussi agiles que des Télétubies, sortes d’hybrides de marionnettes géantes du muppet show) débute par une joie infantile. Un gros chat cornu détruit de gros nids ronds en les explosant. Max voit cela comme un jeu et tente d’en faire autant, jusqu’à ce que les autres congénères lui demandent offusquer pourquoi il s’amuse à détruire leurs habitats. S’inventant roi pour échapper à une mort probable, l’enfant retrouve ses aises, commence par proposer une bataille et un câlin géant. La tendresse naïve se mêle à une sauvagerie animale.

L’originalité de cette partie sur l’île et de ces Maximonstres tient au fait qu’à nouveau rien n’est jamais simple. Le point de vue adoptée balance entre celui de l’enfant et celui des monstres aux noms pour le moins humain (Douglas, Carol, Ira, à l’exception de KW). L’imaginaire de Max n’est pas sans borne, il revient sans cesse tourner autour des problèmes rencontrer dans sa réalité, il découvre la difficulté de gérer les personnes et de leurs plaire. Le garçonnet se montre égoïste et méchant par moments, mais de cette méchanceté puérile qui ne prend pas forcément la mesure de sa propre férocité. Les Maximonstres deviennent alors tantôt le symbole de l’amitié tant convoitée par l’enfant, de la famille (KW et Carol ayant des problèmes de couple), des monstres ou des clowns, agiles ou lourds, les bourreaux comme les victimes, fragiles autant que redoutables. Figures changeantes dans des corps informes, ces Maximonstres sont le plus souvent simplifiés à un caractère proche des sept nains (le timide, la suspicieuse, le grognon, …) et représentent lorsqu’ils sont réunis une personnalité à part entière, celle du petit garçon, qui découvre par la même occasion qu’il n’est pas toujours facile de composer avec les diverses émotions humaines. Ils sont ainsi à la fois une représentation du monde extérieur et une représentation de l’enfant. En résulte ce changement dans la façon de filmer et de les faire apparaître tantôt imposants, tantôt presque aussi grand que Max (lorsqu’ils sont dans les galeries du nid géant par exemple, où le tunnel paraît au premier abord à peine suffisamment haut pour le garçon, puis semble pouvoir contenir les monstres).

19079774.jpg-r_760_x-f_jpg-q_x-20090325_122239.jpgL’irruption du réel dans ce monde imaginaire, par la présence de Max, vient briser les frontières de l’infini. Alors que Max et Carol se promènent en plein désert, ils croisent au loin une immense créature réduite dans les paroles de Carol à un chien, qu’il faut mieux ne pas nourrir, si on ne veut pas qu’il nous suive. Humour et horreur ne sont jamais bien loin de la sorte. Plus loin, KW, sur la plage, en présence de Max, annonce qu’elle va lui montrer ses nouveaux amis et se met à dégommer deux chouettes qui volaient dans les airs. Max ne comprend pas ce geste si violent jusqu’à ce que KW lui apprenne que les chouettes sont ses deux copains et qu’ils adorent se faire shooter. Le film se compose ainsi de différents éléments parsemés de façon régulière qui apportent des touches d’humour en même temps qu’un regard sur la sauvagerie de l’enfant (d’où le titre du livre Where the wild things are). Max va finir par se retrouver poursuivi par celui qu’il voyait comme son protecteur (Carol) et ne trouve pour seule cachette que la gueule de KW (joli pied nez qui renvoie alors à la scène de rencontre où les monstres menaçaient déjà d’avaler le gamin). Cette scène plutôt drôle, renforcée par la présence dans l’estomac de KW d’un raton laveur ami du monstre, faisant passer KW à la fois pour une confidente et pour une sorte de mère (à la manière des animaux prenant dans leur bouche leurs petits pour les protéger) se clôt sur une remarque de Max expliquant à KW que c’est triste qu’ils n’aient pas de mère. Celle qui pouvait ainsi être une image maternelle ne devient alors qu’une chimère, témoignage d’une prise de conscience par le jeune garçon. La sauvagerie s’étend jusqu’à la blessure réelle d’un des monstres qui se voit arracher son bras, d’où s’écoule du sable et ce bras ne sera remplacé que par un bout de branche, comme si l’imaginaire pouvait être fêlé, comme si on ne pouvait pas vivre éternellement dans un monde enchanté, comme si Max en arrivant sur l’île, et nullement étonné par les différentes découvertes extraordinaires qu’il peut faire, amenait avec lui dès l’origine le risque de la destruction.

Max et les Maximonstres apporte donc une sorte de nouveauté par la complexité qui ressort de ce monde illusoirement merveilleux (si tant est que cela ne soit pas déjà un pléonasme). Il n’y a plus d’ennemi à affronter que sa propre personne, ses propres faiblesses. Il n’y a plus de séparation claire d’un âge de l’enfance et d’un âge adulte.

Pour mettre en image ce monde, Spike Jones choisit d’utiliser de vrais décors extérieurs dans lesquels il intègre ses monstres numériques. A l’exception de quelques vues (dont celles du nid géant), l’usage des images de synthèses se fond parfaitement dans l’histoire, les monstres paraissant convaincants, (on n’est pas loin de pouvoir caresser leur fourrure). L’homme ne s’en sort pas trop mal pour retranscrire cet univers particulier. Certes, il n’évite pas quelques maladresses dans sa mise en scène. Est-ce le trop plein de numérique (signe de l’isolement du garçon) ou une narration qui parfois peine à trouver son rythme ? De temps à autre, les scènes peuvent paraître un tantinet ennuyeuses et il faut un temps d’adaptation pour apprivoiser le monde de Max. Et, s’évertuant à parer tout ennui, Spike Jonze s’égare en rajoutant sur chaque séquence des passages musicaux pas toujours utiles (et ce malgré une splendide Bande Originale signée Karen O), comme s’il perdait confiance à sa propre capacité à générer de l’émotion par l’image. Certes le film peut dans certaines séquences lasser, mais la magie opère, les plans sont souvent soigneusement travaillés et le jeune Max Records nous entraîne dans ce monde où l’on se surprend à rire ou à être ému.

Max-et-les-maximonstresMax et les Maximonstres témoigne de la richesse offerte par l’enfance qui peut livrer des histoires et des atmosphères originales sans tomber dans la mièvrerie façon Disney. Spike Jonze nous livre ainsi un film à déguster pour les fêtes, pour les petits et surtout pour les grands.  
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