Parlez moi de la pluie. Une douce ondée sur nos écrans.

Publié le par ES

Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri ne laissent pas indifférent. Qu’on adhère à leurs idées, à leur réalisation, à leur jeu, à leur propre personnalité ou qu’on les exècre comme deux clowns tristes, chacun sort d’un de leurs films en ayant une opinion claire sur le duo. Après le monde de l’entreprise et de la culture dans le Goût des autres, après le monde du chant et de l’édition dans Comme une image, Jaoui s’intéresse au monde de la politique et des médias dans son Parlez moi de la pluie. Première constatation, il existe une fascinante continuité dans la réalisation entre les trois films, le même goût pour une esthétique à la fois sobre et très photographique, la même envie de maîtriser chaque aspect de l’histoire et de créer une ambiance envoûtante. De quoi s’agit-il ? Encore une fois, d’un film en partie choral avec d’un côté un quadragénaire rêveur et pommé (Bacri), ayant un fils et pour métier caméraman, de l’autre une féministe écrivaine devenue femme politique qui revient dans sa terre natale et retrouve la maison familiale et sa sœur, et entre les deux, un jeune homme marié gérant d’un petit hôtel (Jamel Debbouze) qui va suivre flirter avec le risque d’adultère et dont la mère est la bonne à tout faire de la famille Villanova (Jaoui). L’idée de faire un documentaire, portrait d’une femme qui réussit, autour de Agathe Villanova (Agnès Jaoui) va réunir les trois personnages durant dix jours. L’histoire est l’occasion pour Jaoui et Bacri de revenir sur des thèmes chers : la famille plus ou moins recomposé, la difficulté du couple et de l’amour, les influences de pouvoir et le danger de s’y laisser séduire, la question de l’apparence… Aborder sans jamais matraquer, pointer du doigt sans lyncher, c’est le plus souvent le but du duo. Si quelques lourdeurs peuvent s’entrevoir, comme le jeune arabe qui continue d’être obnubilé par l’humiliation colonialiste ou le cliché de l’homme politique, Jaoui semble le faire toujours de manière volontaire, pour rappeler que ce ne sont pas que des conventions justement, que ces questions appartiennent à notre temps, à notre société.
La première merveille du film, comme dans les deux autres, tient au jeu d’acteurs. Agnès Jaoui confirme son contrôle du personnage entre froideur, force et ligne de faille, en endossant la vie d’une femme plongée dans la politique, elle s’éloigne du rôle de professeur de chant de Comme Une Image. Jean-Pierre Bacri est encore plus touchant qu’à l’ordinaire puisqu’il s’écarte de son rôle d’homme bourru, grincheux et cassant, il se fait rêveur, amusé, passionné aussi par sa relation avec la sœur d’Agathe Villanova et troque finalement le verre de vin (Comme une image) pour un petit joint. Enfin, Jamel Debbouze qui a déjà montré qu’il savait faire autre chose que le pitre, continue d’interpréter un personnage dramatique, plus grinçant que l’ordinaire, plus mature aussi. Le trio Jaoui-Bacri- et Marilou Berry cède la place à ce nouveau trio, plus masculin et tout aussi réussi. Viennent derrière cela, s’ajouter des second rôles brillants, notamment les femmes avec Mimouna Hadji ou Pascale Arbillot. Tout s’entremêle en peu de temps, on pourrait aimer en avoir plus que des bribes de vie, on en ressort pourtant rassasié, sans en avoir trop eu.
L’autre merveille du film réside dans le ton comique peut-être plus poussé que dans les deux premiers et qui popularise l’histoire dans le bon sens. Centré notamment autour du personnage qu’interprète Bacri, l’humour devient une sorte de catalyseur qui évite de tomber dans un tableau noir de la société. Le plus simple est encore d’en raconter une scène. Pour ne pas résumer comme beaucoup la scène en campagne où Agathe Villanova tente de répondre à des questions alors qu’elle est coupée par les bêlements d’un troupeau, prenons dans le milieu du film le moment où Agathe se rend chez le jeune homme pour voir le documentaire, Bacri finit par le lui montrer sur l’ordinateur de Jamel Debbouze, mais, pataud et étourdi, il ne lui montre pas la bonne séquence. A la place du portrait, Agathe découvre un montage où elle est comparée à une esclavagiste. C’est à ce moment que le personnage de Jamel arrive, éteint l’ordinateur. Silence. Bacri tente de rattraper la gaffe en disant que c’est juste une plaisanterie. Jamel dit de même sans s’excuser. L’intérêt de cette scène tient dans le fait qu’elle résume tout le talent de Jaoui réalisatrice. La bêtise de Bacri et le film font sourire voire rire, mais le constat apparaît ensuite, d’abord celui dans l’histoire puisque Agathe découvre comment les autres la voient, ensuite dans le traitement narratif, on comprend que Karim (Jamel) est plutôt doué dans la vidéo. Et derrière la sobriété de la réalisation, les thèmes ressortent sans difficulté, l’apparence encore une fois, les faux semblants, la difficulté de communiquer, d’avouer ses fautes, …
Une chose est sûre. Agnès Jaoui se perfectionne, explore de nouveaux horizons sans perdre de ses habitudes et de ses amours comme la musique (classique, chorale et jazz), les plans sur des objets comme dans l’église où elle se plaît à filmer des détails en guise de transition. Cette comédie (car si certains passages sont plus tristes que drôle, le dénouement est heureux) charme par son humilité, pourrait-on dire. Humilité puisque le film ne cherche jamais à convaincre qu’il est drôle, ni à donner des leçons, juste constater, regarder le monde en tentant de divertir. Une sobre élégance entoure Jaoui dans cette réalisation, une élégance qui donne envie d’attendre le prochain bébé du couple Jaoui Bacri.

Publié dans Actu ciné Français.

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