Le Bal des actrices, Maïwenn mène sa danse.

Publié le par ES

 Maïwenn, c’est une vingtaine de films en tant qu’actrice avec des réalisateurs de toute trempe, une certaine incrustation dans le milieu et à présent trois films dont son premier, un court métrage réalisé en 2004 s’intitulant I’m an actrice.  Son Pardonnez-moi avait ému une partie du public et agacé une autre. Le choix d’un faux documentaire en employant une caméra amatrice pour régler un conflit familial pouvait tant rebuter que charmer et si on pouvait reprocher un aspect quelque peu égocentrique dans la démarche, il était indéniable que le résultat n’était pas vain. Reprenant le même procédé de la caméra subjective, Maïwenn revient avec Le Bal des Actrices sur un mélange entre documentaire et fiction. Au programme, elle-même souhaitant faire un documentaire portrait des actrices, de leurs vies, leurs conditions de travail, … Alors évidemment, le film n’est pas parfait et on pourra reprocher par moment et en regardant un peu trop vite que Maïwenn s’offre avant tout une nouvelle séance de psy et de règlements de compte. En réalité, l’ensemble est nettement plus réfléchi qu’il pourrait sembler.

Tout commence par cette séquence en campagne où Miss Réalisatrice suit sa première victime en la personne de Karin Viard, elle à côté d’une vache quelque peu excitée. En face, derrière une caméra, Bertrand Blier lui demande de répéter la scène en changeant les émotions. Irascible, sévère, et déclarant finalement qu’il faut forcément aimer un peu les actrices pour les mettre en scène. Jolie passation de pouvoir neuf années après l’étrange Les acteurs. Un peu plus loin, le spectateur aura le droit de suivre une Marina Foïs en lutte entre le temps qui passe (séance de Biotox) et les producteurs restés sur la période Robin des bois, comme si la malheureuse ne pouvait rien faire d’autre. Et puis Muriel Robin en lutte elle aussi avec son image de comique qui s’engueule avec un Jacques Weber impressionnant de crédibilité. La brochette se poursuit offrant du Jeanne Balibar ou du Romane Bohringer sur le retour, du Julie Depardieu en actrice pommée et quelques autres portraits dont notamment deux bonnes idées en la présence d’une Estelle Lefébure jouant avec sa propre image de poupée Barbie et surtout d’une Karole Rocher ( vue dans Un Frère, Comment j’ai tué mon père, Scorpion ou encore Stella) époustouflante de force et de colère.
 
Le travail sur le double fond entre le réel et le fictif, entre le documentaire et le narratif ouvre la voie à un trouble propre au cinéma et à toute représentation visuelle où il est difficile de distinguer le vrai du faux, du simulacre, où le doute s’inscrit dans chaque séquence pour savoir s’il y a une part de véridique, si ces actrices jouent la comédie ou bien si elles se racontent vraiment. Ce travail permet aussi de jeter un regard sur « la profession » assez acerbe et amusé. On se moque de Tautou Cannet, de tel film, de tel réalisateur, on fait des clins d’œil à la vie poeple façon Angelina Jolie, de la trouille des producteurs actuelle qui explique en partie la médiocrité de certains productions françaises.
 
Certes le film n’est pas parfait. La tendance Bollywood de mettre des séquences de comédie musicale (idée qui amuse Maïwenn expliquant faire un docu musical) crée dans le film quelques jolies petites chansonnettes où les actrices peuvent dire ce qu’il serait difficile à avouer sans transformation, mais cette tendance peut aussi rebuter par moments et casser la dynamique narrative. L’autre problème du film réside également dans les scènes de vie quotidienne de Maïwenn. La réalisatrice se filme en mère de famille vivant avec un Didier Morville plutôt sympathique qui s’amuse lui aussi avec son image de Joeystarr. La star dans le Bal des actrices, c’est le rêve de reconnaissance qui anime chaque actrice et qui se poursuit jusqu’à la fin du film où la reconnaissance pour Maïwenn se fera du côté de son amoureux et non du côté de ses actrices. La scène finale permet de renverser la tentative. Maïwenn connaît parfaitement les critiques qu’on pourrait lui adresse et s’amuse violemment avec cela. Dans une salle de projection, les actrices assistent au film dont elles se croyaient les vedettes. Des spectateurs qui regardent d’autres spectateurs. La réaction est unanime, elles détestent, se sentent salies par cette caméra qui n’a pas su les révéler sous un bel angle. La seule à accepter son image est celle que Maïwenn refusait à suivre : Lefébure. Cruauté de l’image, celles qui semblaient durant tout le film appréciaient la démarche refusent d’être mises au second rang, leur propre masque tombe. Après avoir joué la comédie, elle joue la satire. Jeu et contre jeu durant tout le film permettent ainsi de mettre en lumière le théâtre du monde où il n’est jamais facile d’accepter de vivre. C’est encore une fois un Pardonnez-moi qui clôt le récit, comme si la reconnaissance pour Maïwenn passait avant tout par le besoin d’assumer une culpabilité.

C’est ainsi parce que le récit oscille entre documentaire et fiction, qu’il laisse des parts d’ombre, que la réflexion peut s’installer à travers les portraits pour montrer au delà des simples failles du système cinématographique français, les fragilités de chaque être humain, le petit ego qui aspire à jouer le premier rôle et à se farder pour être dans l’apparaître. La caméra peut elle s’arrêter de tourner ? Dans le récit du Bal des actrices, cela n’est pas possible, le spectateur doit donc sortir du simple film pour pouvoir apprécier l’ensemble ( à commencer par connaître les films auxquels Maïwenn fait référence), sortir aussi pour pouvoir vivre et non plus juste regarder comme semble conclure Maïwenn qui fuit la salle de projection pour retrouver sa vie. Car ce qui pouvait apparaître comme une faiblesse scénaristique (la vie en sitcom de la réalisatrice apparemment peu intéressée par son enfant) offre en réalité une double lecture. Maïwenn aspirée par son documentaire, par la pellicule, ne pouvait vivre son existence sans s’imaginer dans un drame. A partir du moment où elle achève son film, elle peut regagner sa vie et assumer sa maternité et son rôle de femme.

Voilà donc ce que dresse derrière le regard amusé et parfois ironique sur une profession, la jeune réalisatrice : une réflexion plus fine sur les limites d’un art. Bouclant ainsi une sorte de trilogie, Maïwenn peut à présent voguer vers de nouveaux horizons, du moins espérons le.

Publié dans Actu ciné Français.

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