Projets Frankenstein : Un garçon Fragile - Splice

Publié le par PS

Le mythe de Frankenstein règne depuis deux siècles sur la littérature et le cinéma, fascinant autant qu’il terrifie. Et si le créateur et sa créature interpellent et suscitent l’intérêt c’est que le thème initial demeure au cœur de tout récit mythique. Frankenstein dépassait le simple mythe littéraire et religieux pour rattacher la fiction à la science et ouvrir ainsi son roman sur le progrès et le monde contemporain. Cette année, parmi d’autres, deux films s’efforçaient de revenir et de renouveler le mythe sous deux voies très diverses. Splice, de Vincenzo Natali, s’aventurait à la lisière de la science fiction avec cette histoire de savants recréant un clone hybride avant de se lancer dans la naissance d’un clone humain. Tout semble se dérouler pour le mieux jusqu’au moment où les scientifiques (un couple en mal d’enfant) commencent à s’attacher à leur humanoïde et que celle-ci révèle des instincts dangereux qui entraîneront l’équipe vers un complexe d’oedipe gordien. A l’inverse, Un Garçon Fragile, du Hongrois Kormel Mundruczo, transpose le mythe dans un univers culturel où la création d’un monstre ne tient plus de l’ordre scientifique mais artistique. Un réalisateur cherchant des acteurs « vrais » pour son nouveau film fait passer un entretien à un jeune garçon (son propre fils qu’il n’a jamais connu) et le manipule comme une marionnette jusqu’à ce que la marionnette se déchaîne.

http://images.allocine.fr/r_760_x/medias/nmedia/18/66/52/22/19454219.jpgNatali fut un temps un nouvel espoir du cinéma de genre. Son mystérieux Cube, réalisé à l’origine pour une question de moyens réduits, inspira bien des réalisateurs. Son Cypher, curieux dans son esthétique, était une sorte d’hommage aux films d’espionnage, tout comme son sketch dans Paris Je t’aime (la séquence de vampire amoureuse) détournait avec peu de subtilité le mythe vampirique. Splice se voulait l’exploration d’un autre type de films (le thriller scientifique), servi par deux acteurs (Sarah Polley et Adrien Brody) capables du pire comme du meilleur et par un réalisateur déjà expérimenté.


Réflexion sur l’éthique scientifique autour du clonage comme nouvelle figure de Frankenstein, Splice témoigne dès les premières séquences d’un manque d’originalité, qui aurait pu être compensé par une mise en scène intéressante. Le soucis de Splice est double : trouvant que le principe éthique était trop convenu, Natali bâtit son récit autour du drame familial et des comportements déviants, tombant ainsi dans des ficelles psychologiques assez maladroitement imbriquées ; mais désireux de construire un film mémorable l’homme devient trop sérieux. Un peu de légèreté, un ton un moins dramatique et grave aurait permis d’assouplir la mise en scène. Le couple de scientifiques aimerait avoir un enfant, mais la femme voudrait quelqu’un d’unique et surtout redoute l’enfantement. L’étrange Dren (retournement du terme NERD, assez grossièrement mis en évidence dès le début) devient cette enfant convoitée qui grandit à vive allure jusqu’à devenir en quelques semaines une jeune femme. Voilà que la « mère » scientifique devient soudain moins attachée, que son amour pour l’enfant se transforme avec la mutation adulte de Dren, tandis que l’homme tombe amoureux de la singulière humanoïde au point de commettre l’irréparable en couchant avec sa propre création. Rien de bien original, si ce n’est une petite idée dans le dénouement plus subtile en ajoutant aux gênes de Dren celui d’être hermaphrodite. Une scène au milieu du film annonçait le changement et voilà que Dren (prénom en soi neutre) devient un mâle et finit par coucher avec sa mère (la scientifique ayant utilisé un de ses ovules pour la fécondation).

http://www.photos-films.com/flm/pic/orig/224/Splice-1-22453.jpgSplice se révèle alors être un divertissement de plus qui réemploie les bases du mythe de Frankenstein, se croit malin en entortillant jusqu’au comble les problèmes œdipiens, comme aucun film n’avait osé jusqu’alors, mais peine à convaincre, trop sérieux, trop sûr de ses effets peut-être (dont cette fin où la scientifique se retrouve finalement enceinte de Dren). On aimerait embarquer dans ce voyage scientifique où l’enfant peut coucher autant avec la mère qu’avec le père et tuer ses deux parents, mais malheureusement rien ne se passe véritablement. La rébellion des monstres n’est pas nouvelle (difficile de battre Jurassic Parc en la matière) et aurait demander une plus grande originalité. Par ailleurs, en ayant l’audace de mixer le mythe de Frankenstein avec celui d’Œdipe (les deux étant très liés dès l’origine), Natali n’a peut-être pas la carrure pour mener à bien un tel projet. Reste avec Splice un sympathique film de science-fiction moins mémorable que son Cube, mais tout à fait regardable.

http://img.filmsactu.com/datas/films/t/e/tender-son-the-frankenstein-project/n/4bf6ec936a390.jpgDans un style complètement différent, Un garçon fragile explore le mythe de la création sous une forme plus symbolique. Parfois trop appuyé peut-être dans la mise en scène, pour certains trop prétentieux et tombant dans l’exagération maniérée, ce Garçon Fragile vibre d’une beauté étrange et carnassière. La première séquence suit le réalisateur dans sa voiture, l’attente prend possession des lieux, la création est déjà en gestation, mais la tonalité générale laisse pressentir un mauvais sort. Après un passage accompagnant le jeune garçon dont l’attitude interpelle, tous les protagonistes se retrouvent dans cet immeuble fantôme entourant une cours centrale. Le réalisateur fait passer ses entretiens pour son nouveau film. Il rêve de trouver un acteur vrai. S’ensuit une séance de casting où le réalisateur se révèle cruel et montre la difficulté du rôle de comédien. Drôle autant que désespérant, le casting porte sur une des actions les plus difficiles : pleurer. Aucun ne correspond à ce que le réalisateur recherche, chacun semblant en faire trop dans les pleurnicheries, mais voilà que le jeune homme qui vient de laisser sa mère apparaît dans l’embrasure de la porte. A tout hasard, le voilà pris dans le casting et face à la caméra. Le réalisateur lance un « action » et rien ne se passe, le jeune homme demeure impavide. « Pourquoi tu ne pleures pas ? » demande le cinéaste, « mais je pleure » répond naturellement l’autre. Il s’agit d’une des plus belles scènes du film, celle de l’équilibre, image du cinéma et période où les deux êtres se font face d’égal à égal. Soudain, le réalisateur prend le pouvoir, devient créateur d’un être (derrière le rêve de tout metteur en scène de voir une jeune recrue devenir ce qu’il espère, se retrouve ainsi le mythe de Frankenstein), le pousse dans ses retranchements. La scène devient terrible par le suspens malsain qui germe. La comédienne censée accompagner le jeune homme se fait repousser à chaque fois qu’elle tente de l’embrasser et se fait gronder ensuite par le réalisateur. La tension monte. Le jeune homme, à l’image de Dren dans Splice, devient imprévisible, de sombres instincts le hantent, pratiquement animal, l’entraînant sans le vouloir vers le crime. A la fin de la scène, alors que le réalisateur n’a pas entièrement compris qu’il s’agissait de son fils, le monstre est achevé, la créature déchaînée. La première partie met ainsi tous les éléments en place pour dérouler la tragédie qui suivra. La seconde partie permet de contempler l’évolution du jeune homme devenu un meurtrier. A nouveau la trame familial et les déviations en tout genre viennent hanter ce film. La jeune femme tuée étant la fille du beau père du jeune homme Rudi, ce dernier veut se venger. La mère, qui avait abandonné Rudi ben longtemps auparavant, ne couvre son enfant que pour le laisser filer, mais voilà qu’il tombe amoureux de la seconde fille, sa demi sœur. Compliquée, la situation s’enroule autour de nœuds que le meurtre finit par couper sec. De ce huit clos au cœur de l’immeuble initial naît un véritable massacre familial où tous les proches du créateur, tous en partie responsables de la créature, finissent par rendre l’âme.


http://www.cinema-france.com/images_1/7168307fbe28fc40f919a0e1d3106d5920100522145715.jpgLa troisième et ultime partie verra le créateur retrouver sa créature, le père accepter son fils, tenter de le contrôler, de l’aider. Mais cette fuite vers une rédemption, tout comme dans le roman de Mary Shelley, ne peut être que funeste, un tel monstre ne pouvant exister dans ce monde. Magistral, le film l’est par cette volonté de bâtir un récit classique et très proche du mythe initial en investissant une réalité contemporaine (ici la Hongrie). L’émouvant Rudi (Rudolf Frecska, de cette beauté très Europe de l’Est rappelant aussi le jeune George Pistereanu de If I want to whistle) impressionne tant par sa froideur que par sa mélancolie, il devient une incarnation du monstre renouvelée et puissante. Le décor froid et sombre est mis en relief par une photographie impeccable dans les tonalités grisâtres propres à l’ambiance générale du film (voire la sublime scène dans cette cours enneigée où les deux protagonistes se font face). Un Garçon Fragile, peu remarqué au Festival de Cannes 2010 par la date de sa projection (le dernier jour de la compétition) et peu apprécié par la critique (jugé trop froid, trop austère et souvent vu comme une simple relation père fils là où le film multiplie les sens avec tout bonnement la relation de l’artiste et de son objet), mérite d’être sauvé des eaux par sa texture glaçante et somptueuse, son épure formelle complétant le propos et le récit.

Le mythe de Frankenstein n’a pas fini d’inspirer les cinéastes, qu’il s’agisse de transposition basique ou de métaphore mythique. Splice et Un garçon Fragile témoignent malgré leurs fragilités du potentiel du cinéma à créer des œuvres radicalement différentes en partant d’un même postulat initial. Le reste est affaire de sensibilité.

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